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IA : surmonter la tragédie de l’exécution

26 août 2025

L'échec n'est pas une fatalité !

La majorité des projets IT échouent, avec environ 70 % de taux d'échec. Pour les projets d'intelligence artificielle, ce taux grimpe à 80 %, comme l’a souligné un rapport récent de la RAND Corporation. Ces chiffres révèlent une crise systémique, où des milliards sont engloutis dans l’IT sans résultats tangibles.

Un exemple emblématique est le système Louvois, un logiciel de paie pour l'armée française lancé en 2011. Ce projet a entraîné des erreurs massives, affectant des dizaines de milliers de militaires, avec un coût total de 573 millions d'euros, dont 95 millions abandonnés. Ce cas illustre les conséquences d'une gouvernance IT défaillante.

La « Tragédie de l’Exécution »

Le pire paradoxe réside dans les projets "réussis" qui sont en réalité des échecs profonds. La DINUM (direction du numérique de l’État français) parle à juste titre de "tragédie de l'exécution" : un projet livré dans les délais, respectant son cahier des charges, mais manquant totalement sa cible stratégique. Prenons l'exemple de la digitalisation aveugle de processus papier en services numériques : en ne repensant pas le workflow sous-jacent, on transforme simplement une complexité en une autre, sans gain opérationnel ni amélioration de l'expérience client ou usager.

Un autre exemple de tragédie de l’exécution concerne la non-APIsation des systèmes d'information (SI). En n'intégrant pas des API robustes, les organisations se privent de l'agilité nécessaire pour offrir une véritable omnicanalité. L'absence de fluidité des transactions, les ruptures de parcours utilisateurs entre différentes organisations ou systèmes, illustrent cette incapacité à tenir la promesse d'une expérience utilisateur fluide et cohérente. Par exemple, Sears en ne synchronisant pas ses canaux en ligne et hors ligne via des APIs, a vu ses clients se heurter à des ruptures d'expérience, comme des points de fidélité non accessibles en ligne, contribuant à son déclin.

La technologie : une infrastructure mais aussi une chaîne de valeur stratégique

La technologie ne doit plus être perçue comme une simple infrastructure de support pour les organisations. Elle est devenue une véritable colonne vertébrale des modèles économiques modernes. Des plateformes comme Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure ou Google Cloud ne se contentent pas de fournir des capacités de stockage ou de calcul ; elles structurent désormais de véritables chaînes de valeur avec leurs modèles PaaS, IaaS ou SaaS. Galilée disait que le "livre du monde est écrit en langage mathématique" ; aujourd'hui, le "livre des organisations" s'écrit en langage informatique : data, cloud et IA sont la nouvelle grammaire de la valeur.

Ces écosystèmes offrent bien plus que de la technologie brute : ils proposent des environnements complets où les entreprises peuvent déployer des services, automatiser des processus, accéder à des algorithmes d’intelligence artificielle et construire des solutions sans posséder l'infrastructure sous-jacente.

Beaucoup de grandes organisations nées au XXe siècle, focalisées sur leurs métiers historiques, se retrouvent souvent démunies face à ces nouvelles réalités. Elles n’ont pas su anticiper que la technologie deviendrait le moteur central de l’innovation et de la performance économique, comme l’a montré l’échec de Nokia face à Apple et Android.

Cette myopie stratégique s'explique en partie par une vision dépassée des DG du rôle de leur Direction des Systèmes d'Information (DSI), myopie que j’ai retrouvée aussi bien dans le public que dans le privé. Trop souvent cantonnées à un rôle de support technique, les DSI se sont elles-mêmes enfermées dans cette posture, négligeant la dimension business et stratégique de leur mission. Elles ont continué à se percevoir comme des services supports, responsables de la maintenance opérationnelle des outils, plutôt que comme des acteurs stratégiques capables de créer de la valeur économique. Aujourd’hui, il ne s’agit plus simplement d’optimiser les systèmes d’information internes, mais de comprendre que la technologie est le moteur de la création de la valeur, capable de créer des écosystèmes où la donnée, la capacité de calcul et les services numériques deviennent des produits à part entière. Trop souvent, les projets IT ont échoué car ils étaient déconnectés de cette vision stratégique, mal pilotés, portés par des objectifs flous ou inadaptés, avec des responsabilités silotées. Cette déconnexion entre la technologie et la stratégie, cette asymétrie d’informations entre stratèges et DSI a conduit, dans certains secteurs comme les télécoms ou les banques, à des investissements massifs sans retours tangibles ni sur la productivité, ni sur l’expérience client, ni sur l’expérience collaborateur, ni sur la qualité, ni même sur la sécurité, alimentant la frustration des équipes métiers comme des équipes IT.

Les clés pour sortir du cycle de l’échec IT

Pour renverser cette tendance, plusieurs leviers stratégiques peuvent être actionnés, illustrés par des exemples inspirants :

  • Sécuriser une vision stratégique et business forte du numérique : à mon avis, c’est une des raisons de l’incroyable réussite de Publicis, que l’on annonçait moribonde il y a 15 ans et qui, grâce à la vision de Maurice Lévy a su utiliser la tech comme un moteur de rebond business et stratégique (je reviendrai là-dessus un autre jour...) ;
  • Aligner les technologues sur les enjeux métier et stratégiques : Spotify intègre par exemple ses ingénieurs logiciel dans les équipes produit ("cross-functional squads"), garantissant que la technologie serve la stratégie et vice-versa.
  • Réunir stratégie et exécution : sortir de la dichotomie entre ceux qui pensent et ceux qui exécutent. La technologie ne doit plus être perçue comme un ensemble de simples "tuyaux" (comme le disait encore récemment un grand dirigeant bancaire…), mais comme un véritable levier stratégique.
  • Changer de paradigme sur la tech : traiter l'IT comme un centre de profit et non comme une charge. Il est temps de cesser de considérer l'IT comme un coût, un coût nécessaire certes, mais un coût. Elle est devenue la nouvelle infrastructure critique du monde. Qu'une entreprise arrête ses systèmes IT, et elle se rendra immédiatement compte que ce n'est pas qu'un centre de coûts, mais le cœur de son moteur industriel, comme si l’on mettait la principale machine-outil d’une usine textile à l’arrêt.
  • Apprendre à piloter réellement les projets IT : cela implique de mesurer l'impact, de privilégier le prototypage, de découper les projets en briques servicielles et d'adopter une approche agile, avec des cycles plus courts fondés sur le “test and learn”, bref une approche pragmatique et orientée résultats.
  • Réinternaliser les compétences IT : Il est essentiel de reprendre la main sur ses ressources technologiques en valorisant les talents internes. Les exemples inspirants de Decathlon montrent l'efficacité d'une politique RH adaptée, où l'on prend soin des carrières des profils tech, en favorisant l'hybridation entre technique et stratégie.

Faire évoluer les rôles : des techs stratèges et des dirigeants éclairés sur la tech – pour une hybridation féconde

Pour réussir cette transformation, deux évolutions majeures s'imposent :

  • Amener les profils tech à devenir plus stratèges : Les experts IT/data/IA doivent être en mesure de participer aux réflexions stratégiques, d'orienter les décisions et de challenger les choix faits par les dirigeants ainsi que les organisations d’hier (legacy).
  • Renforcer la culture tech chez les dirigeants : les leaders doivent non seulement comprendre les enjeux technologiques, mais aussi avoir le courage de confier les rênes de directions métiers à des profils tech, ou au minimum de piloter activement leur stratégie IT, en questionnant et en orientant les équipes techniques. Satya Nadella, chez Microsoft, a transformé l'entreprise en leader cloud et IA, démontrant l'importance de leaders tech-savvy.

Enfin, sortir de la dépendance exclusive aux ESN est une nécessité. L'IT est le moteur industriel de toute organisation : il ne se délègue pas, en tout cas pas entièrement. En internalisant ces compétences, en renforçant l'expertise en interne, les organisations peuvent reprendre la main sur leur destin numérique et éviter les écueils qui transforment trop souvent les projets IT en gouffres financiers sans impact réel.

Auteurs
David Djaiz CEO
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